La tribune libre d’expression du Mouvement Nkul Beti a l’occasion d’avoir sur son plateau l’une des personnes marquante et soucieuse des problèmes de démocratisation et de développement en Afrique. Son dernier ouvrage « CINQUANTENAIRE DE L’AFRIQUE INDÉPENDANTE (1960-2010) » est sorti ce mois de mai 2011. Une grande occasion de nous entretenir sur la question africaine. Mr. Thierry Amougou, il est de notre tradition que nos invités se présentent, parlent de leurs familles et origines. Alors qui est Thierry Amougou ?
Le nom « Amougou » est très répandu chez les ekang. Connaissez-vous la signification de celui-ci ? Quelle liaison culturelle et historique peut-on déduire de celui-ci ?
Parlant de culture, beaucoup sont surpris aujourd’hui d’être d’abord ekang avant d’être beti. Nombreux sont aussi ceux qui viennent d’apprendre sur l’histoire des ekang. Appartenez-vous à cette catégorie ou alors vos origines historiques vous ont toujours accompagné dès votre enfance ?
Quelle place occupe la culture dans l’émancipation des peuples ? Faut-il favoriser la tolérance culturelle par rapport au mixage des cultures ?
Cependant, il ne faut pas considérer la culture comme un stock de pratiques, de manières d’être et de connaissances fixé une fois pour toute. La culture est un flux car les cultures s’influencent les unes les autres et évoluent même si on peut y trouver des noyaux durs pour chacune d’elle
Mr. Amougou, avez-vous concrètement une idée sur le nombre d’articles que vous avez déjà publiés ? On ne cesse de lire vos interventions sur les problèmes africains et camerounais en particulier. D’où viennent vos énergies et la passion pour effectuer un travail si important et déjà volumineux ?
J’estime donc que je dois faire plus et je crois que je ferrais plus car je ne suis qu’au début de ma carrière de chercheur
Le macro-économiste que vous êtes, que dites-vous sur vos activités ? Que pouvons-nous retenir de votre quotidien et profession ?
Mon plus grand plaisir dans ce travail d’enseignant est de voir un enfant satisfait après un cours parce que les choses ont été expliquées avec clarté
En lisant vos articles, j’ai l’impression que l’intellectuel « Thierry Amougou » a du talent pour se positionner sur les problèmes de l’Afrique et du Cameroun. Vous mener un combat public qui ne suscite pas seulement de l’admiration mais aussi vous êtes « ciblé » par les « non-démocrates » africains, la FranceAfrique et autres. Alors pourquoi avez-vous choisi de mener ce combat inégal ? Et à quel niveau intervient dans cette lutte la Fondation Moumié que vous dirigez ?
Je ne suis donc pas un adepte du populisme scientifique qui consiste à poursuivre ce que dit la majorité des Africains très souvent englués dans des stéréotypes construits au fil du temps. C’est pourquoi je parle sans cesse de cohérence dans nos combats
Je l’ai souligné au début de cet entretien que vous avez sorti en ce mois de mai 2011 l’ouvrage « CINQUANTENAIRE DE L’AFRIQUE INDÉPENDANTE (1960-2010) », éditions L’Harmattan, ISBN 978-2-296-54796-4. Le livre compte 126 pages et coûte 15,50 €. Apres avoir lu la table des matières, que diriez-vous, si je dis, « voila une fois de plus un ouvrage africain réservé seulement aux intellectuels » ? Quel public voudriez-vous atteindre ?
« Quiconque lit ce livre en sort avec une nouvelle idée de l’Afrique.
L’auteur parle des cinquante ambigües pour caractériser les cinquante années d’indépendance africaine. L’analyse politique, économique et sociale de la période 1960-2010 donne un bilan en clair-obscur qui impose ce constat. Dans ce livre, écrit avec rigueur et méthode dans un langage abordable par un large public, Thierry Amougou interroge les dynamiques sociopolitiques et économiques africaines et y décèle, sous contrainte des acquis des études du développement et des grands défis du XXIe siècle, des avancées, des stagnations, des innovations, des bifurcations imprévisibles et des dégradations. La conception du pouvoir politique et ses conséquences sur la vie, l’Etat, le développement et les classes populaires ainsi que la nouvelle question sino-africaine sont passées au crible. Ses conclusions n’augurent, ni d’un « paradis », ni d’un « enfer », mais tout simplement d’un continent à la marche singulière vers sa continuité en tant qu’entité historique.» Note de commande ou d'achat Prix: 15,50 euros Volume: 162 pages ISBN : 978-2-296-54796-4 Aux Editions L'Harmattan
Je voudrais avancer une critique ici. En se référant seulement sur la table des matières du livre, on constate que vous n’avez réservez aucun chapitre spécial à l’éducation. Vous revenez naturellement sur l’enseignement mais sur un autre plan, si je ne me trompe pas. Pourtant, 50 ans d’Afrique indépendante c’est aussi 50 ans d’éducation, d’acquisition du savoir et du savoir-faire, c’est aussi une époque de création des écoles formation et des universités …
Je ne l’ai pas totalement oublié car j’en parle dans la deuxième partie du livre en réactualisant la question posée par Cheikh Hamidou Kane de savoir si ce que nous apprenons à « l’école des Blancs » vaut toujours ce que nous oublions de nos cultures
Que dites-vous de la FranceAfrique ? Quelle place prend-t-elle dans cet ouvrage, si on tient compte que l’amour de la France pour l’Afrique et vice-versa suscite beaucoup de controverses pour le moment ?
Seulement, dans ce combat, ma thèse est simple : mettre fin à la Françafrique passe par donner le pouvoir à nos peuple et donc à construire des Etats de droits démocratiques
Lorsque vous présentez les 50 ans de l’Afrique indépendante, parlez-vous seulement de l’Afrique noire ou alors de l’Afrique qui va du sud au nord ? Pouvons-nous objectivement examiner les problèmes d’Afrique noire sans tenir compte du Maghreb ?
Une partie du livre parle de « la démission des citoyens ou la victoire de la peur face aux pouvoirs qui tuent ». Puis-je en déduire que le citoyen africain ou camerounais est devenu ce qu’il est aujourd’hui à cause des systèmes répressifs mis en place ? Je pose cette question parce que je fais partie des africains qui croient qu’il existe une faute collective pour les problèmes africains. Autrement dit quelle est la part de responsabilité du citoyen ?
Cependant, si la responsabilité est collective, elle n’est pas d’un même poids, elle n’est pas égale
Comment qualifiez-vous l’Afrique qui a fait des progrès pendant les 50 ans d’indépendance ? Nous ne pouvons pas qu’en même dire que tout a été négatif…
Je viens de vous posez une question sur la FranceAfrique. Je voudrais maintenant avoir votre point de vue sur la ChineAfrique surtout que nous parlons maintenant de « main basse sur le Cameroun » par la Chine. Quelles sont les facettes de la nouvelle question sino-africaine que vous soulignez dans votre livre ?
Ce qu’on appelle aujourd’hui la nouvelle question sino-africaine est juste le renouveau de cette relation historique depuis que l’Empire du Milieu connait un grand essor économique
Les méthodes de travail des chinois au Cameroun et dans d’autres pays d’Afrique ne sont pas très favorables. Les chinois maltraitent les travailleurs camerounais et vont même jusqu’à bastonner les citoyens de ce pays. En tant que défenseur des droits de l’homme, que dites-vous de ces attitudes d’esclavagisme ? Quels sont les précautions à prendre afin d’éviter que l’Afrique ne subisse pas une forme d’esclavagisme chinois caché derrière la nouvelle stratégie de la chine en Afrique ?
Les entreprises capitalistes chinoises font en Afrique ce que les Occidentaux y ont déjà fait dans les années soixante et pendant la colonisation
Votre livre parle-t-il aussi des intérêts des russes, américains, brésiliens et sans oublier turques en Afrique ?
A long terme, quelle puissance étrangère fera le challenge en Afrique ? Comment se présenteront les enjeux qui naîtront des rapports entre la FranceAfrique, et ChineAfrique ?
Les cinquantenaires des indépendances africaines nous ramènent aussi sur la problématique du Cameroun, votre pays d’origine. Votre ouvrage a-t-il été élaboré sur les bases du contexte camerounais ? Quelle analyse générale portez-vous sur ce pays après 50 ans, la première république dirigée Ahidjo et la deuxième par Paul Biya ? Quelle république a été bénéfique pour le Cameroun ?
Déjà faut-il parler de deux républiques juste parce que le président a changé à la tête de l’Etat ? Je ne le pense pas sauf si on estime que ce sont les hommes à la tête des Etats qui font changer de république
On ne peut parler des cinquantenaires des indépendances africaines et laisser de côté le rôle des medias et de la presse en général. Nous voyons bien que les nouveaux medias prennent de plus en plus de place dans nos vies. Quel regard portez-vous sur la mutation des medias en Afrique ? Et le chemin parcouru par la presse africaine pendant les 50 dernières années se présente comment ?
Ma dernière question concernant l’ouvrage. La situation politique et économique dans la plupart des pays d’Afrique est plus que brisante en ce moment. Nous vivons le cas de la Côte d’ivoire, du Burkina Faso, des pays du Maghreb et des autres pays comme le Cameroun. Les africains qui vivent dans l’incertitude dans leurs pays respectifs ont-ils le droit de continuer à sombrer dans le désespoir compte tenu de la pauvreté et des conflits interminables qui minent le quotidien des gens ? Quelle est la porte de sortie que nous propose l’ouvrage ?
A cet effet, l’ouvrage propose plusieurs portes de sortie : la construction de l’Etat de droit ; la diversification des structures productives, la sortie des relations d’amitié avec la Chine et surtout la consolidation de l’union africaine
Comment voyez-vous la scène politique camerounaise ? Où se trouvent les défaillances du système politique camerounais par rapport aux pays africains avancés en matière de démocratie comme le Ghana par exemple ?
Parlant de formation politique au Cameroun, croyez-vous que l’opposition déjà divisée en des groupuscules puisse nous apporter un changement avec les élections présidentielles qui sont en vue ? Dans quelle direction tendrait le Cameroun si le RDPC se maintient au pouvoir après octobre 2011 ?
Il n y’ a donc plus d’opposition politique à Biya mais d’opposition tant qu’on ne mange pas avec lui
Le « Cameroun de Demain », c’est quoi pour vous ?
Mr. Amougou, en tant que jeune intellectuel ekang, que diriez-vous sur ma thèse « nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui parce que les intellectuels beti ont longtemps ignoré leur devoir » ? A votre avis existe-il une « faute collective » chez les beti qui justifie la situation lamentable dans laquelle ce peuple se trouve
Mr Amougou, au nom du Mouvement Nkul Beti je vous remercie pour cet entretien. Vous avez le dernier mot :
Transformer l’Afrique en son centre propre : utopie ou réalité ?
Par rapport aux interrogations d’Africains sur le rôle de la communauté internationale, Achille Mbembe a récemment proposé que l’Afrique devienne son centre propre. Il nous semble utile de creuser cette idée par un questionnement additif qui en interroge la concrétisation. Regardons-nous penser et écoutons-nous parler avec en point de mire, l’Afrique à transformer en son centre propre. Être animé par le souci de passer des critiques tous azimuts de l’Occident, aux recherches de solutions concrètes, durables et d’avenir aux problèmes africains, exige aussi que nous devenions le centre de nos analyses par une espèce de réflexivité analytique. C’est primordial en ce sens qu’une pensée africaine tournée vers la critique exclusive de l’Occident fait inévitablement de cet Occident le centre de son imaginaire. Elle ne cherche plus en elle-même les arguments de son autonomie et de sa puissance créatrice d’une nouvelle Afrique. Elle les cherche dans la dénonciation des travers du projet africain de l’Occident. Ce qui est une autre forme d’aliénation à « la bibliothèque coloniale ». Les Africains qui condamnent le feu vert de Barack Obama pour les frappes en Libye en comptant uniquement sur l’argument chromatique pour en faire un Africain ; ceux qui félicitent les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) de s’être abstenus en oubliant que ces pays le font aussi pour leurs seuls intérêts et non pour ceux de l’Afrique, sont dans la même logique : celle qui consiste à centraliser les autres dans la recherche du « Bien » dudit Continent. L’Afrique doit pourtant devenir son propre centre ! Qu’implique une telle conjecture lorsqu’on l’applique au cas ivoirien et libyen ? Le centre se construit-il dans une totalité uniforme par rapport à lui-même ? Se construit-il en se décentrant par rapport à un précédent centre, en l’occurrence l’Occident ? Peut-il se réaliser sans créer des périphéries autour de lui, c'est-à-dire des non-centres ? Est-ce un projet possible sans développement politique et économique ? Si oui comment y parvenir ? Si non comment ne pas déjà être un élève et une périphérie de l’Occident dans ce processus très souvent mimétique ? Devenir son propre centre n’est-il pas le fondement du prosélytisme des monothéismes religieux et de l’impérialisme américain ? Si oui, devenir son centre propre, n’est-il pas un projet qui a pour but de nous rendre capables de faire ce que nous condamnons chez les Occidentaux ? Ces questions sont importantes parce que tendre vers ce qui se rapproche de la vérité ultime des choses, est ce qui peut être utile au développement de l’Afrique, étant donné que les décisions se prendraient dès lors sur une base à la fois rationnelle et informée. Le dire est bien, mais l’appliquer, mieux encore en ce moment où la crise postélectorale ivoirienne et l’intervention de la communauté internationale en Libye, entraînent amalgames et fourvoiements divers. Prenons donc l’Afrique comme point focal de l’analyse, afin de privilégier, non « le Bien » que les autres devraient faire à ce continent, mais celui qu’il devrait se faire au préalable à lui-même pour éviter le « Mal » que lui font les autres : c’est aussi ça être son propre centre ! Nous pouvons y arriver uniquement en ayant le courage de regarder le reflet de notre image dans le miroir, et en ayant le cran de dire quels sont les défauts qu’on y voit et qui contribuent à nourrir la prospérité à la fois de la « Françafrique » et de l’ingérence occidentale dans notre continent. Notre thèse est donc simple : une Afrique qui doit devenir son propre centre implique que la recherche des causes et des responsabilités explicatives de la continuité de la « Françafrique » et de l’ingérence occidentale au sein du Continent Noir, soit faite en son sein. C’est une condition nécessaire pour se penser et se construire comme son centre propre. Il faut penser par nous-mêmes, à partir de nous-mêmes et pour nous-mêmes. Extrait d’un article ecrit par Thierry Amougou Lire cet article Informations supplémentaires, contacts, liens, auteurs et copyrights
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Les questions de cette interview ont été rédigées par Maurice Ze.
Nous remercions Dr Thierry Amougou d’avoir accepté cet entretien. Les textes de cette interview doivent seulement être utilisés dans le cadre du mouvement Nkul Beti ou de la promotion de Dr Thierry Amougou Enama Tous Droits Réservés © Copyright 2010 Zemprosys Group Rendez-vous exclusif. Interview avec Dr Thierry Amougou, Macro-économiste, enseignant à l’université
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