Emmuré dans le palais de l'Unité, le chef de l’Etat, lui, s'en amuse. Le 4 juin 2004, une rumeur le donnait pour mort, dans un hôpital genevois. A sa descente d'avion, à l'aéroport de Yaoundé, cinq jours plus tard, il déclarait, sibyllin : «Je vois que les gens s'intéressent à mes obsèques. Je leur donne rendez-vous dans une vingtaine d'années». Ce florentin situait-il ainsi l'horizon de son parcours terrestre ou le terme de son règne au sommet de l’Etat ?
Enfant, il entretenait déjà le secret sur sa personne, confiait sa mère à une consœur de Essti-Forum, en décembre 1982. Pour Anastasie Eyenga Elle, le petit Paul était cet «effrayant génie» qu’évoquait Chateaubriand, parlant de Pascal : «il aimait beaucoup l'école», confessait-elle. Chef catéchiste, Etienne Mvondo Assam, son père, en communion avec les bons pères de l'école catholique de Nden et des séminaires d'Edéa et d'Akono, dans le sud du Cameroun, aurait voulu en faire un prêtre. Paul Biya, dont le destin, selon Jacques Fame Ndongo, était inscrit dans le nom, opte plutôt pour l'administration publique, au détriment du sacerdoce auquel sied son tempérament. Au terme de ses études universitaires à Paris, en France, au lycée Louis-le-Grand, à Sciences-Pô, à l'Iinstitut des hautes études d'outre-mer et à la faculté de droit de la Sorbonne, il rentre au Cameroun en 1962. Muni d'une recommandation, le voilà aussitôt introduit directement au sommet de l'Etat, dans le sain des saints, la «Maison du Président» Ahidjo, sorte de cabinet civil dont il est, à ce jour, avec l'ambassadeur Paul Pondi, les seuls survivants. Il ne descendra plus jamais de l'Olympe. A ce niveau de l'appareil étatique, au Secrétariat général de la présidence, à la Primature, au sein du gouvernement, dans les allées du parti unique, l'Union nationale camerounaise (Unc), les pas de Paul Biya croiseront ceux d'autres jeunes hauts fonctionnaires, brillants, ambitieux, avides de pouvoir. Y compris du pouvoir suprême. A l'heure du sprint pour la succession à la tête du pays, il faudra l'autorité implacable d'Ahmadou Ahidjo pour éviter à ces quinquagénaires, accroupis dans la servitude et la soumission sans faille au chef, de se marcher les uns sur les autres. On connaît la belle finale «Paul Biya Vs Victor Ayissi Mvondo», alors puissant ministre de l'Administration territoriale et secrétaire politique de l'Unc. Un duel remporté par Paul Biya, qui aura su le plus cacher son jeu, feindre le désintéressement, donner des gages de docilité, avant de montrer un visage différent, une fois le pouvoir acquis, au grand étonnement de son mentor. Celui que Moussa Yaya, l'influent secrétaire aux Affaires syndicales et féminines de l'Unc, qualifia un jour sur les antennes de la radio nationale de «bon encaisseur» se révéla, à l'épreuve du pouvoir, un politique retors. Un homme de baraka aussi: grâce à François Sengat Kuoh, il déjouera les manœuvres de Ahmadou Ahidjo visant à modifier la Constitution pour ériger l'Unc en parti-Etat. Grâce au maréchal de logis Etienne Holong, il esquivera un projet d'assassinat en août 1983. Grâce à quelques officiers supérieurs loyalistes, il survivra à la tentative de coup d'Etat du 6 avril 1984. Des années plus tard, dans l'entourage de l'actuel chef de l'Etat, on réédite à l'endroit de Paul Biya l'erreur d'appréciation de Ahmadou Ahidjo et de Moussa Yaya. Maints collaborateurs, abusés par son apparente indolence, se sont laissé pousser les ailes. Paul Biya s'évertue pourtant à faire comprendre que la haute administration, un strapontin de ministre, ou, plus particulièrement, le secrétariat général de la présidence de la République, n’est pas forcément l’antichambre du pouvoir suprême. Des personnalités passées à ce poste feignent, par moments, de ne rien y piger. Ils sont quelques-uns à s'être brûlés au voisinage du soleil. Joseph Owona, «vice-président» aux heures chaudes du multipartisme naissant, se vit écarter sans ménagement. A force de rogner le pouvoir présidentiel, Titus Edzoa, à la fois homme de confiance, gourou et médecin personnel de Paul Biya, a été éjecté sans façon en 1997, poussé à la démission, puis embastillé depuis 12 ans. Pour n'avoir pas su ronger son frein, Edouard Akame Mfoumou, ancien baron du régime, partage aujourd’hui son temps entre sa villa désormais sans courtisans de Yaoundé, et ses plantations de Ndonko, dans le Sud. Jean-Marie Atangana Mebara aurait été écarté de la présidence pour le ministère des Relations extérieures lors du remaniement du 22 septembre 2006 en raison de ses élans bonapartistes. A tort ou à raison, une partie de l'opinion lui attribue la paternité du Gll, une nébuleuse à laquelle l'on prête l'ambition de prendre le pouvoir au terme du dernier mandat de Paul Biya en 2011. Il croupit en ce moment à la prison centrale de Kondengui pour une affaire de détournement de deniers publics. Ces quatre anciens secrétaires généraux de la présidence ont un point commun: à trop côtoyer le fauteuil de Biya, ils se sont crus un destin présidentiel. A 76 ans passés, Paul Biya, approche inéluctablement de son hiver. Quels sont ses sentiments actuels, vu l’attrait que son fauteuil exerce sur des collaborateurs prêts à se trancher la gorge? Grand maitre du jeu politique, face à une opposition délabrée, il doit certainement penser à sa succession. La société civile l'y invite. Quelques uns de ses partisans aussi. A voix basse, bien sûr. Il y a six ans, Amadou Ali, vice-Premier ministre chargé de la Justice, ne rappelait-il pas, au cours d'un séjour dans sa région du Grand-nord, que le pouvoir a été remis à Paul Biya par un ressortissant du Nord et que, à l'heure du départ, il devrait songer à renvoyer l'ascenseur à cette partie du pays ? Par cette sortie, qui fit du bruit, l'un des rares ministres à parler au prince sans détours, semblait rappeler au président l'impératif de préparer sa succession, comme Ahmadou Ahidjo en son temps. Il faut se l’avouer, le contexte actuel n'a rien de pareil avec le climat prévalant en 1982. C'était clair à l'époque : en cas de vacance, le fauteuil présidentiel revenait au Premier ministre. C'était écrit dans la Constitution et c'était entendu ainsi. Alors même que son départ n'était véritablement pas de l'ordre des préoccupations de l'opinion, Ahmadou Ahidjo a démissionné, prenant tout le monde de court, y compris son successeur constitutionnel, Paul Biya. A posteriori, on peut lui reprocher les couacs survenus en chemin (la tentative d'assassinat d'août 1983 et le coup d'Etat d'avril 1984 qu'il inspira sans doute), mais reconnaissons qu'il fut un temps animé du souci d'éviter au pays l'aventure d'une fin de règne chaotique. En 2010, en revanche, les Camerounais songent à l’après-Biya avec appréhension. Du coup, le spectre de la Côte d’Ivoire, de la Tunisie, de la Guinée ou du Gabon hante les esprits. Ces pays ont connu les angoisses d’une fin de régime empreinte d’incertitudes, du fait du grand âge du président de la république. Certes, Paul Biya n’est pas grabataire comme Félix Houphouet-Boigny, Lansana Conté, Habib Bourguiba, mais, en juin 2004, la rumeur sur son décès a été l'occasion de visionner, en avant-première, le film d'un après-Biya chaotique. De se rendre compte que le schéma constitutionnel actuel, avec les hommes aujourd'hui aux avant-postes, aura peut-être des difficultés à se mettre en place, au cas où... Celui que ses camarades de séminaire avaient surnommé «le filandreux», en raison de son art du contournement, a trouvé un artifice original pour régler sa succession. Un arme de destruction sélective : «l’Opération Epervier». Selon toute probabilité, après 2011, une fois les héritiers impatients embastillés, appauvris, affaiblis, humiliés, brisés, martyrisés, Paul Biya conviera les élus à un festin pascal, d’où surgira le prochain Pierre. Le Seigneur auquel le fils de catéchiste s’est visiblement rapproché, au terme d’une longue pérégrination à travers divers ordres mystiques, lui laissera t-il le temps ?
Repères
[ Études secondaires ] 1947 : séminaire Saint-Tharcissius d'Edéa 1950 : séminaire Saint-Joseph d'Akono puis Lycée Général Leclerc de Yaoundé jusqu'en 1956 : date à laquelle il obtient le Baccalauréat, série philosophie. [ Etudes supérieures ] - Lycée Louis le Grand de Paris ; - Université de Paris Sorbonne (Faculté de Droit - Institut d'Études Politiques de Paris - Institut des Hautes Études d'Outre-Mer. [ Diplômes ] 1960 : Licence en Droit Public 1961 : Diplôme de l'Institut d'Études Politiques de Paris 1962 : Diplôme de l'Institut des Hautes Études d'Outre-Mer (IHEOM) 1963 : Diplôme d'Études Supérieures en Droit Public [ Carrière ] Octobre 1962 : Chargé de mission à la Présidence de la République Janvier 1964-Juillet 1965 : Directeur de Cabinet du Ministre de l'Éducation Nationale, de la jeunesse et de la Culture. Juillet 1965 : Secrétaire Général du Ministère de l'Éducation Nationale de la Jeunesse et de la Culture. Décembre 1967 : Directeur du Cabinet civil du Président de la République. Janvier 1968 : Secrétaire Général de la Présidence de la République. Août 1968 : Ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République. Juin 1970 : Ministre d'État Secrétaire Général de la Présidence de la République. Juin 1975 : Premier Ministre de la République Unie du Cameroun. Juin 1979 : La loi n°79/02 du 29 juin 1979 fait du Premier Ministre le successeur constitutionnel du Président de la République. 4 novembre 1982 : démission du président Ahmadou Ahidjo 06 novembre 1982 : Président de la République Unie du Cameroun
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Source: Le Jour
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